L'éveil du théâtre


Je suis devant l'écran de mon ordi à vouloir écrire quelques modestes mots sur ce grand texte qui a reçu le dernier prix Goncourt des lycéens et pour les aider à s'écouler et pour m'aider à les éclairer, je regarde une vidéo de l'auteur qui parle de son roman pour la librairie Mollat. Et ça marche. Aussi les voilà les mots, qui sont innombrables et se bousculent dans ma tête ne sachant plus lequel doit sortir d'abord. Alors commençons par le commencement, ce sera bien plus simple.
«Sa voix de théâtre avait une autre voix. Elle chuchotait la soie des mots. »


(cliquez sur l'image pour voir la quatrième de couverture en grand.)
Le quatrième mur, c'est l'histoire de Georges. Georges, à qui son ami Samuel, malade et désormais incapable de terminer ce qu'il avait commencé, demande d'aller à Beyrouth, rassembler les combattants d'une même guerre sur scène pour jouer l'Antigone d'Anouilh. Faire la paix, non; une trêve, oui. L'idée est belle, ambitieuse, presque désespérée. Mais Georges y va, il se lance et y croit, il se bat pour elle. Il abandonne sa femme, sa fille et part se battre pour une trêve, pour le théâtre.
«- C'est une forme de répit, alors ?
J'aimais bien le mot. j'ai dit oui. Le théâtre était un répit.»

Celui-ci prend a une place primordiale dans le roman où l'auteur tente de lui rendre toute sa force, toute sa beauté et le pouvoir qui l'habite. Mais comme il le dit lui même: "le théâtre n'est qu'un décor".
Le théâtre apparaît comme le décor d'un projet fou, fragile et ambitieux. C'est le décor de la fraternité humaine, qui réunit au-dessus de tout conflit les acteurs. C'est le décor d'une guerre: un théâtre détruit par les bombes, tenant à si peu et abri vulnérable d'une troupe hétéroclite, invraisemblable. C'est le décor de l'espoir.
«Le théâtre était devenu mon lieu de résistance. Mon arme de dénonciation. A ceux qui me reprochaient de quitter le combat, je répétais la phrase de Beaumarchais ; "Le théâtre ? Un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe." »

Mais écoutez donc Sorj Chalandon parler de son roman. Entendez-le vous dire que le théâtre n'est pas le thème principal du roman. C'est un roman sur la guerre, sur la paix, sur l'espoir et un roman salvateur. Ecoutez-le donc parler de Georges -qui porte son deuxième prénom- comme un ami, comme un être vivant à qui il aurait fait la demande de monter Antigone. Ecoutez-le enfin vous dire que Georges l'a sauvé et lui a permis de faire le deuil de la guerre, de ce qu'il y avait vécu. Ecoutez-le avouer la douleur qu'il a eu, sans doute, à le sacrifier pour lui-même être sauvé.
Avec Le quatrième mur, Sorj Chalandon signe un très bel hommage au théâtre qui réunit, réconcilie, apaise et divertit. Un très bel hommage à la littérature qui dénonce, déchire, sauve, soigne. Et une bouleversante histoire où l'Histoire brise les Hommes, où la guerre anéantit des âmes et la bonté, où l'espoir semble avoir été pulvérisé, et où la paix prend devient invivable.
«Le quatrième mur ? … Une façade imaginaire, que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l’illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains un remède contre le trac. Pour d’autres, la frontière du réel. Une clôture invisible, qu’ils brisent parfois d’une réplique s’adressant à la salle.»

On comprend que Georges ne pourra pas être sauvé. On le voit douloureusement s'enfoncer, sans rien n'y pouvoir, dans la guerre. On le voit tomber. Aussi la fin n'est-elle qu'à peine surprenante et sans aucun doute poignante. En brisant le quatrième mur, Georges brise la frontière entre la fiction et la réalité, entre les acteurs et la guerre, lui qui cherchait à les en protéger, il brise l'espoir d'une trêve et brise l'espoir de pouvoir se cacher de l'horreur derrière ce mur invisible, fragile, salvateur. Et il brise le coeur du lecteur qui offre à ce personnage ses larmes, tout du moins, l'intention y est, petit être de papier.
«Je voulais lui offrir des larmes. J'ai cherché tout au fond. J'ai fermé les yeux pour les appeler à l'aide. Elles ne venaient pas. Elles baignaient mon ventre, mon cœur, mon âme. Elles refusaient mes joues.»

Mais c'est la voix de Sorj Chalandon qui dira mieux ce roman que moi. Ce sont les mots doux du style de son Quatrième mur qui vous parleront mieux que moi. C'est votre lecture, votre interprétation votre vision de l'oeuvre, votre vie et votre émotion qui traduiront le mieux ce que cette histoire a à murmurer à votre coeur fragile et empli d'espoir. Alors je vous laisse. Je vous laisse entendre, lire et vivre.



«" Demain dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends ..." a récité le tueur.
J'ai tremblé à mon tour. Mon corps, sans retenue. J'ai pleuré. Tant pis. J'ai senti cette fois sa jambe venir en aide. Je savais que mes frissons l'irradiaient. Que mes larmes secrètes remontaient à son bras, à sa main, à son doigt, posé sur le pontet de détente.
"J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit."
Et puis il a tiré. Deux coups. Un troisième, juste après. Cette fois sans trembler, sans que je ne sente rien venir. Son corps était raide de guerre. Mes larmes n'y ont rien fait. Ni la beauté d'Aurore, ni la fragilité de Louise, ni mon effroi. Il a tiré sur la ville, sur le souffle du vent. Il a tiré sur moi, sur nous tous. Il a tiré sur l'or du soir qui tombe, le bouquet de houx vert et les bruyères en fleur.»

Quelques uns de vos mots

Offrez-moi votre regard